My candidature =)

Le temps. Ennemi de l’Homme depuis la création de l’univers. Les secondes passent, se transformant en minutes. Puis en heures. En jours. En semaines. En mois. En années. Pour au final tisser le long et pourtant si court fil de la vie.

Le temps. Mon ennemi de toujours. Il y a un jour, il me semblait que j’étais encore la frêle et minuscule enfant que ma mère venait de mettre au monde, dans ce hameau perdu au milieu de la montagne. Et pourtant, aujourd’hui ma peau était flétrie, ridée, érodée par le temps. Toujours et encore lui.

J’avais quatorze ans la première fois que l’on m’a mise en garde contre lui.

Nous étions en été. Sans doute le dernier que je passerais en sécurité avant cinq années. Nous étions en 1938, à l’aube d’une guerre nouvelle. Mes parents, craignant pour ma vie, m’avaient envoyés cher mes grands parents, dans cette petite maison où j’étais née. Je me souviens de tout cet été. C’est sans doute pour cela que le 13 Août 1938 restera à jamais gravé dans ma mémoire.

Mon grand-père et moi avions décidé d’aller pêcher ce jour-là. Il y avait un étant à un kilomètre au nord de la maison, alors nous avions pris nos vélos, le matériel de pêche, et nous étions partis à 10 heures du matin, laissant ma grand-mère dormir encore un moment.

L’eau de l’étant était claire. Je pouvais en voir le font, ainsi que les poissons multicolores qui nageaient avec le courant. Grand-père m’avait tendu une petite canne à pêche, adaptée à ma taille, avait pris la sienne, puis nous avions lancé notre ligne ensemble, comme toujours. Et l’attente avait commencée.

Je discutais souvent avec mon grand-père. C’était quelqu’un de très vieux, enfin, c’est ce que je pensais puisque je ne lui avais jamais demandé son âge. Quoi qu’il en soit, il avait toujours su bien des choses, et ce jour-là, il me parla du temps.

« Sais-tu ce qu’est le temps, Suzanne ? M’avait-il demandé, avec son air mystérieux qui lui était propre.
-Bien sûr ! Avais-je répondu toute fière. C’est…c’est… »

Grand-père avait ri. Puis il m’avait caressé la joue.
« Le temps est indéfinissable Suzanne. Quoi que disent les scientifiques, le temps ne sera jamais que le plus grand ennemi de l’Homme.
-Pourquoi le temps devrait-il être notre ennemi ? C’est grâce à lui que nous vivons, et qu’il nous arrive des choses nouvelles ! M’étais-je étonné.
-Suzanne, Suzanne. M’avait-il répondu en souriant tristement. Je savais que tu dirais cela, tu n’es encore qu’une enfant. J’étais comme toi, à ton âge. Mais maintenant que le temps à déposé sa marque sur moi, je me rends compte qu’il n’a jamais rien fait d’autre que de me pousser petit à petit vers la mort. »

Je n’avais rien répondu, trop secouée et intriguée par les propos de grand-père. Soudain, un poisson avait mordu à mon hameçon, et mes réflexions sont parties en fumée, remplacées par l’excitation de rapporter une belle prise à grand-mère pour le diner.

A cette époque-là, je n’avais pas su décrypter le regard qu’avait mon grand-père. Aujourd’hui, je le sais : il m’enviait. Il enviait ma jeunesse, et pleurait la sienne perdue. Je pense que si je l’avais compris cet après-midi-là, je ne l’aurais pas compris, j’aurais même été choquée qu’il puisse m’envier quoique ce soit, en particulier mon âge, puisqu’il l’avait déjà eu.

Mais maintenant, oui maintenant je le comprenais, car j’avais ressenti la même chose avec mes petits enfants.

A quatorze ans, j’étais pressée, tout le temps. Lorsque j’ai eu 60 ans, j’ai commencé à vouloir tout refaire, tout revivre, à maudire le temps de m’avoir volé ma vie, à craindre la mort. Et puis, maintenant que j’ai 85 ans, je m’aperçois que je n’ai plus peur de mourir. Lorsque le néant m’emportera, je tiens à laisser sur Terre, et à mes enfants et petits enfant, l’image d’une femme qui a vécu sa vie comme elle l’a voulu.

Une femme qui a affronté son ennemi…


Dans une chambre du petit hôpital d’un hameau sans nom, Suzanne ferme les yeux. Les infirmières accourent en entendant les bips irréguliers de l’électroencéphalogramme, mais il est déjà trop tard.
Dans son lit de mort, Suzanne sourit. Elle a gagné la bataille contre le temps.

FIN

Lu &&. Approuvé le règles !