Styxx

Des frites. J’aurais pu reconnaître cette odeur entre mille. Le relent écœurant de la friture, mitigée à d’autres choses suspectes dont je ne voulais pas savoir la composition. Le mets préféré de nombreux enfants, ados, et même adultes. Quelque chose qui, en moi, suscitait la plus profonde des aversions. Je fixais mon assiette en silence, n’y ayant pas touché. La fourchette entre les doigts, je les saccageais plutôt que je les mangeais. Je sauterai encore le repas de ce midi. Tout comme j’ai pu sauter celui d’hier midi. Et encore avant-hier. Je trempai mon petit-doigt dans la flaque de ketchup qu’il y avait au fond de mon assiette. Et je me mis à dessiner un sourire sur le plateau. Non, pas un sourire. Je pris la serviette et recommençai. Je dessinai plutôt un bonhomme bâton avec au dessus un gros nuage. Et des gouttes de pluie qui en tombaient. Voilà qui était beaucoup mieux. Je me saisis du paquet de sucre qui accompagnait le dessert, et je saupoudrai mon dessin improvisé. Il ne pleuvait plus. Désormais, il neigeait. Je pris quelques frites dans mon assiette, non pour les manger, mais pour les disposer tout autour de mon personnage, de façon à former une cage. Voilà comment je me sentais. En cage. Dans un lycée qui ressemblait plus à une prison qu’à une institution scolaire.

C’était le premier jour de rentrée, et déjà, c’était à mourir d’ennui. Encore heureux que je ne sois plus à l’hôpital. Là bas, c’était encore pire. Les allées et venues incessantes des infirmières, les plateaux à l’odeur fétide qu’ils distribuaient tous les soirs et qu’ils me forçaient à manger. Que je mangeais, pour leur faire plaisir, et sitôt qu’ils avaient le dos tourné, je crapahutais jusqu’aux toilettes pour me faire vomir. Je ne voulais plus ingurgiter de force ces trucs, et pourtant, j’en avais un échantillon sur ma table, disposé en rang d’oignon dans un plateau. Dégoûtée, je repoussai le tout. Laissant intacts la pomme, le yoghourt bulgare qui n’en avait que le nom, ainsi que l’assiette hamburger/frites, en parfait état. J’avais juste gaspillé le sucre et le ketchup pour faire des âneries. Encore un repas de gâché. Un parmi tant d’autres. Ca de moins pour les enfants africains qui crèvent la dalle dans le Darfour et pas seulement là. Un plat qu’ils auraient sûrement préféré avoir dans leur estomac que dans une poubelle au milieu de plein d’autres restes. Désolant. Mais je leur refile volontiers mon plateau repas. Quitte à être gâché, autant que cela leur serve à eux. Et j’aurais au moins fait une bonne action.