Ysalys is in the place, sortez le champagne!

Martelant doucement la petite table de mélamine avec ses doigts, l'homme d'expérience semblait exaspéré. Il prit sa tête entre ses mains et étira ses joues d'un geste désespéré. Quand il relâcha sa peau, il s'avança sur la surface blanche. Il soupira longuement et se racla bruyamment la gorge.

« Donc, Mademoiselle Menethil, où étiez-vous le 4 décembre 2009? »

Enfermée entre quatre murs, mademoiselle Menethil ou plutôt Clémence, se devait de rester assise et répondre à des inconnus lui poser un tas de questions. Elle savait très bien qu'ils n'en avaient rien à faire de ce qui c'était exactement passé. Ils voulaient qu'elle réponde à leurs questions pour qu'ils aient raison. Dès qu'elle allait leur révéler une minuscule parcelle de la vérité, ils allaient la couper à cet instant et inventer le reste de l'histoire. Ils avaient bien d'autres cruels imbéciles à coffrer. On leur poussait dans le dos pour résoudre des affaires non résolues. De vieilles veuves en deuil appelaient régulièrement pour connaître les nouvelles de l'enquête. De pauvres parents les contactaient pour leur demander s'ils avaient reçus des appels qui pourraient rouvrir l'enquête. Elle comprenait tout ça. Pourtant, elle refusait de se faire accuser pour un crime qu'elle n'avait pas commis.

« Mademoiselle? J'attends toujours votre réponse. Où étiez-vous le 4 décembre 2009? »

Elle connaissait très bien cette date. Elle s'en rappelait comme si c'était hier. En fait, c'était hier. On l'avait arrêtée très tôt ce matin, juste après son appel. Quelques heures la séparaient de ce jour fatidique. Maintenant, elle devait affronter ces hommes à cravate faisant partie de la haute société montréalaise. Avant que l'un d'eux devienne cramoisi, Clémence décida de lui répondre. Épaules voûtées, tête baissée et bras croisés, elle se lança.

« Je me suis levée très tôt. Je crois qu'il n'était pas plus tard que 5h30. De toute façon, je ne me lève jamais bien tard. Le camion de livraison du propriétaire fait un bruit fou et puisque j'habite en haut, il est impossible d'étouffer le bruit. »

La jeune femme avait un français assez correct même si elle n'avait pas bénéficié d'une très longue éducation. Son langage différait de celui utilisé dans les quartiers près de chez elle. Clémence avait gardée un petit accent anglais qui était assez bien camouflé par sa maîtrise de la langue des québécois. Voyant que l'enquêteur perdait patience, elle garda son calme et décida de continuer.

« Donc, je me suis préparée et j'ai décidée d'aller me promener un peu avant de commencer mon quart de travail à la boutique de mon père.

- Qu'avez-vous fait durant cette promenade? S'empressa de lui demander le policier. »

Cette réponse hâtive la fit sourire. Elle pu entrevoir une lueur d'espoir dans les yeux fatigués du vieil homme. Même si elle n'avait jamais été accusée pour quoi que ce soit, Clémence avait eu droit à plusieurs interrogatoires. Disons que dans les rues avoisinantes, il se tramait toujours des sales coups. Il suffisait d'avoir déjà croisé le suspect pour avoir droit à une grande discussion avec les policiers.

« J'ai été faire un tour chez Seb pour voir comment il allait. Vous savez, il était très instable mentalement.

- Donc, vous avez vu la victime le jour de sa mort. »

Des mots qui font mal. Une douleur atroce qu'elle devait se résigner à subir pour pouvoir en finir. Entendre son meilleur ami se faire nommer "la victime" était difficile. Pourtant, celle savait qu'elle devait continuer à parler pour tirer toute cette affaire au clair. Elle répondit alors par l'affirmative.

« Oui.

- Intéressant, continuez. »

La manière dont il l'avait prononcé lui avait donnée l'impression d'être un cobaye surveillé nuit et jour par des savants fous. Quelle sensation étrange d'avoir l'impression de n'être qu'une parmi tant d'autres rats de laboratoire.

« J'ai regretté cette visite. »

Elle marqua une petite pause pour observer le regard attentif de l'enquêteur.

« Je croyais m'être habituée à le voir dans cet état. Quand j'ai ouvert la porte, je l'ai découvert assis à la table de la cuisine. Il sanglotait. J'ai tenté de le réconforter, mais il n'y avait rien à faire. Il était inconsolable. Il en avait assez de sa condition d'homme.

- Sa condition d'homme?

- Oui, c'est bien ce que j'ai dit. »

Le policier semblait perplexe, mais il l'invita à continuer.

« J'ai dû le laisser à son triste sort. Mon père avait horreur des retards et j'avoue, je croyais que ce n'était que passager et qu'il allait s'en sortir, comme toujours. »

Clémence tenta de cacher ses doigts qui commençaient à trembler. Elle était méfiante envers les policiers. Elle ne pouvait s'empêcher de penser aux stratégies qu'il utilise pour la faire parler. La jeune femme essayait de ne pas montrer trop d'émotions. Ça allait peut-être se retourner contre elle. La suspecte replaça nerveusement une mèche de cheveux reprit son discours.

« J'y ai pensé durant toute la journée. Je ne pouvais m'empêcher de me demander si il allait s'essayer encore.

- À quoi s'essayait-il?

- Au suicide. »